illustration le tigre

Notre époque est engluée dans l'esprit de sérieux et plombée par la gravité (pour ne pas dire la componction) qu'incarnent les valeurs dominantes de performance et d'utilité. Le poète, le rêveur, le sentimental ou le simple n'y ont plus leur place : ce sel de notre terre s'est dissous dans  nos médiocres ambitions individuelles. Quel espace demeure pour la fantaisie, la légèreté (mot honnis !) ? Quelle est aujourd'hui la place de l'inutile, où est passé l'absurde ? Qui peut encore se prétendre incongru ? Ces valeurs-là n'ont pas disparu, mais elles (sur)vivent bien cachées.

 

 

Quoi de plus inutile et contre performant que « Le Tigre (la bête) », par exemple ? Voilà un périodique qui ne paraît qu'une semaine sur deux (a-t-on idée d'une périodicité pareille ?!), et ose nous parler de la brûlante actualité dans des articles...à suivre ! Voilà un média national qui croit au support papier, rêve encore de lecteurs et refuse les encarts publicitaires, quand ses confrères s'affolent sur le Web, se désespèrent de n'être plus lus et se prostituent à des annonceurs. Voilà un titre de presse décalé, artistique et léger. Voilà un journal à la mise en page soignée et étonnante, qui propose 2'22 de poésie, une affiche originale en page centrale, des zones totalement blanches (et assumées), des « invisibles » tout en haut et tout en bas de chacune de ses pages...etc. Voilà un canard qui affiche fièrement sa devise (empruntée à Héraclite, s'il vous plait !) : « Un tas de gravats déversé au hasard : le plus bel ordre du monde ». On peut bien sûr trouver les contenus inégaux. Si c'est parfois inégal, ça n'est jamais égal : et c'est bien cela qui importe. Lire « Le Tigre (la bête) » est définitivement inutile. Ah, faire enfin quelque chose qui ne sert à rien, qui ne soit ni pratique ni raisonnable ni utile : ça va nous préserver de la laideur du matériel et de la consommation !

 

Lire « Le Tigre (la bête) », c'est aussi inutile qu'un tableau de Christiane Caseneuve, une chanson de Juliette, le «  Trombone illustré » ou une chronique de Francis Marmande : c'est dire combien c'est indispensable à nos existences. N'oublions pas la sagesse aiguë de Jean Guitton (philosophe chrétien pourtant, et grand catholique) qui répondaient aux éteignoirs horrifiés par son esprit facétieux : « la gravité est le bouclier des sots ».

  

« Le Tigre » existe depuis 2006. Après avoir été successivement hebdomadaire, mensuel et bimestriel, il est quinzomadaire depuis février 2010 (année du tigre en Chine, évidemment...).

 

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 Denis LLAVORI