Pendant le confinement, nous vous présentons des merveilles et des pépites du patrimoine cantalien !
Quel rapport entre le roi des Francs et la commune du nord-ouest du département ? Pourquoi un tableau intitulé Le baptême de Clovis dans l’église du bourg de Champs-sur-Tarentaine-Marchal ?
Le vocable de l’église (nom du saint auquel elle est dédiée) nous apporte la solution ! En effet, l’œuvre est conservée dans l’église Saint-Rémy de Champs-sur-Tarentaine et c’est saint Rémy qui baptisa Clovis.
Classé Monument Historique en 1983, le tableau de grande dimension (192 cm de haut et 121 cm de large) réalisé après 1703 porte sur un sujet unique dans le département.
L’artiste, restant à identifier, n’a pas choisi de montrer l’épisode couramment représenté où le saint chrême (huile sacrée utilisée pour certains sacrements chrétiens) est amené des airs par la colombe du Saint-Esprit. Pas plus de fonts-baptismaux (cuve servant au baptême dans les églises) ou de baptême par immersion, la toile cantalienne a retenu un geste d’imposition ou pose des mains comme le pratiquait saint Paul.
Jusqu’au VIIIe siècle, le baptême était uniquement délivré par un évêque que l’on retrouve à Champs. Ici sont donc combinés un moment clef de l’Histoire de France avec la conversion des Francs et l’évocation de la cérémonie du sacre des rois, symbolisée par les insignes du pouvoir (cape bleue brodée de fleurs de lys et bordée d’hermine, couronne de la reine…).
La recherche du prototype :
L’historien de l’art s’intéressant aux tableaux recherche toujours les inspirations de l’artiste dans le style et dans la composition. Lorsque la composition d’un tableau se rapproche d’une œuvre connue et reconnue à une certaine époque, c’est que l’artiste s’en est très probablement inspiré. L’œuvre connue devient le prototype du tableau étudié.
L’invention de la composition du tableau de Champs est à chercher du côté d’un autre grand baptême : celui de saint Augustin, dans un tableau réalisé par Louis de Boullogne le Jeune (1654-1733) vers 1703 et conservé au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux. Dans la toile bordelaise, Boullogne peint une scène nocturne avec pour décors une architecture d’intérieur à l’antique où saint Ambroise de Milan verse de sa main droite l’eau bénite depuis une coquille de baptême tandis que son autre main repose sur un livre tenu ouvert par un diacre. Saint Augustin d’Hippone reçoit le sacrement, agenouillé sur une marche, et la colombe du Saint-Esprit descend du ciel sur la droite dans une nuée (un nuage). La scène est agrémentée et rendue vivante par trois jeunes servants d’autel tenant la traine du prélat et de lourds chandeliers avec des cierges, tandis que personnages civils et religieux complètent la composition.
La scène de Champs a conservé la composition originelle de Boullogne, la figure du monarque agenouillé un degré en dessous de celui de l’évêque, l’enfant de chœur au crâne rasé portant une tunique blanche nouée à la ceinture et un prêtre tenant un livre ouvert mais devant le prélat. Le peintre a gardé la multitude de personnages et un fond d’architecture antique. Le format vertical imposé par l’insertion dans un retable a contraint au resserrement de la scène et au remplacement des jeunes catéchumènes par une Clotilde, elle aussi les mains jointes mais debout. Dans cette transposition, le peintre a introduit les attributs de la royauté de façon visible pour en faciliter l’identification.
L’enquête sur la datation de l’œuvre :
La découverte du prototype permet de situer l’œuvre après 1703 et sa matérialité peut aider à affiner cette datation du début du XVIIIe siècle.
Le cadre est réalisé dans un bois fruitier : le merisier. Cette essence de bois s’implante jusqu’à 1700 m d’altitude et sa présence en Haute-Auvergne est attesté notamment dans la réalisation de mobilier régional durant les XVIIIe-XIXe siècles.
Le cadre en bois mouluré est laqué noir et doré (dorure à la feuille). Sa singularité vient du fait qu’il a reçu en applique sur sa façade quarante-deux fleurs de lys dorées en papier-mâché. Cette technique est maîtrisée depuis la Renaissance mais connait un fort engouement du XVIIIe au XIXe siècles.
La toile est en lin, composée de trois lés dans le sens de la hauteur. L’assemblage en lés a perduré jusqu’à la fabrication industrielle des toiles.
Tous ces éléments corroborent la datation de l’iconographie. De plus, les qualités du peintre sont indéniables dans le rendu des matières avec des empâtements très enlevés dans les blancs, dans les jaunes pour les fleurs de lys et les motifs de la chape.
Les coloris usités et les faciès font de ce tableau, qu'il serait donc désormais plus approprié de nommer "Saint Rémy baptisant Clovis", une œuvre encore très imprégnée des peintres du Grand Siècle (1589-1715).
Pour en savoir plus :
Sur l’œuvre de Champs : Guilaine Pons, « Le « Baptême de Clovis » de l’église de Champs-sur-Tarentaine-Marchal », Revue de Haute-Auvergne, 116e année – T. 76 – Avril-juin 2014, p. 167-194.
Le baptême de Clovis est relaté en 877-879 dans la Vita sancti ac beatissimi Remigii, episcopi et confessoris d’Hincmar de Reims (v. 806-882) puis entre 1261 et 1266 dans la Légende Dorée de Jacques de Voragine (v. 1228-1298).